La construction d’un groupe scolaire à Bastelica, qui se concrétise en 1933, est un projet ancien des municipalités successives qui aura mobilisé deux architectes. C’est Louis Carrayol, architecte ajaccien, chargé de la réalisation du clocher de l’église paroissiale Saint-Michel inaugurée en 1895 qui dresse les premiers plans de l’édifice.
Comme architecte libéral, Louis Carrayol a construit de nombreuses villas, chalets, églises et des monuments funéraires en Corse. Il est cité pour avoir participé avec Dumoulin à la construction du Grand hôtel Cyrnos à Ajaccio et avec Fratacci à la construction de l’hôtel Cyrnos-Palace à Bastia. Nommé surveillant des édifices diocésains le 1er août 1905, agent voyer d’arrondissement, il est le rapporteur de la commission spéciale chargée de donner un avis sur les projets de monuments aux morts de la Grande Guerre. Louis Carrayol a réalisé pour la commune de Bastelica, en décembre 1907, le projet de construction d’un groupe scolaire appelé à suppléer l’absence de locaux adaptés et jusqu’au début des années 1930, les classes et les instituteurs sont éparpillés dans différents quartiers du village dans des locaux loués par la municipalité ce qui entraine des frais importants et une absence d’unité de l’action éducative.
Le projet engagé par Louis Carrayol sera ensuite repris par l’architecte bastelicais Joseph Porri pour être mené jusqu’à son terme et à son inauguration le 24 septembre 1933. Le groupe scolaire qui compte sept classes et autant de logements pour le personnel enseignant, est bâti sur les ruines du couvent des Franciscains qui servirent de classes dès 1833 ; il vient compléter l’aménagement de cette entrée de village qui sera parachevée avec la création du square public décidé par le conseil municipal lors de sa réunion du 18 juin 1933.
C’est le comité des fêtes alors présidé par Antoine Scapula qui est chargé d’organiser la cérémonie d’inauguration. Le mémoire présenté s’élève à la somme de 6 200 francs, somme que le conseil municipal vote le 15 octobre 1933. Beaucoup de monde et de nombreux discours lors de cette inauguration. Le Journal de la Corse des 27 et 28 septembre en rend fidèlement compte : LA CEREMONIE « Dès 9 heures du matin, les routes qui mènent à Bastlica sont sillonnées de véhicules de toutes sortes, amenant au chef-lieu des centaines de spectateurs ». « La place et le groupe scolaire sont coquettement décorés de drapeaux. M ; le Docteur Seta, Maire et Conseiller Général, reçoit avec son aménité coutumière ses hôtes d’un jour. » [...] « L’Estudiantina, d’Ajaccio), sous l’habile direction de M. Pierre Zonza joue ses airs les plus entraînants et tout de suite les officiels visitent les splendides locaux. » [...] « Après la visite des bâtiments, les officiels et le public se groupent sur la place. Une tribune a été aménagée au pied du monument Sampiero. » Parmi les invités : Adolphe Landry, les élus des communes voisines,…
Ci-après, des extraits de quelques uns des discours prononcés.
Par M. Arendt, délégué général pour la Corse de la Société des Grands Travaux de Marseille : « Nos travaux de construction de ce groupe scolaire sont achevés. [...] nous venons vous remettre nos ouvrages terminés. C’est avec un bien grand plaisir que nous allons déposer les clés des bâtiments entre vos mains. » [...] Vous étiez assisté d’un de nos meilleurs architectes corses, M. J. M. Porri, Bastelicais qui reprit le projet esquissé par M. Carrayol, le développa, aida à son aboutissement et dirigea nos travaux. », Monsieur l’architecte, nous n’étions pas des inconnus pour vous. A Paris déjà, puis en Afrique, vous aviez collaboré avec notre entreprise et ses associés [...] Nous avons été très heureux d’édifier sous votre direction ce groupe scolaire digne de votre nom. Nous nous sommes efforcés de matérialiser le mieux possible votre conception et c’est pour nous une précieuse récompense que vous vous soyez déclaré satisfait de nous. [...] Messieurs, nous sommes heureux de souligner aujourd’hui que ce chantier n’a pas connu un seul accident, non seulement grâce à notre étroite collaboration avec votre Maire, votre Municipalité et votre architecte municipal, mais aussi grâce aux cordiales relations nouées avec la village tout entier. C’est qu’en effet les étrangers que nous étions ont tout de suite été accueillis comme des amis, cette amitié là ne s’est pas démentie au bout de deux ans de vie commune. » [...]
Discours de M. le Dr Seta : « La construction du groupe scolaire marque dans notre vie municipale une étape qu’il était utile de souligner avec une certaine solennité.» [...] Notre maison d’école, était depuis longtemps nécessaire, depuis longtemps attendue. » [...] Disposant de locaux suffisants, nous pouvons espérer prochainement, la création de cours complémentaires ou supérieurs. » « Et alors, l’instruction sera plus généreusement distribuée, et chaque enfant du peuple, pourra faire, à l’école du village, de fortes et solides études. » « MM. les instituteurs, Mmes les institutrices, mes amis, un vaste champ d’action est ouvert devant vous. » « Si j’osais, sortant peut-être de mon rôle, formuler brièvement un idéal pédagogique sûr déjà de la haute formation des maîtres qui professeront dans cette enceinte, j’exprimerais le désir de voir les générations qui vont recueillir vos enseignements plus clairvoyant encore au progrès imbues d’une culture générale plus étendue mais aussi de technicité pratique. » « En face de la complexité de la vie moderne, dans les temps incertains que nous vivons, en face d’un monde nouveau, à la recherche la recherche d’une formule nouvelle, j’ai l’idée qu’à côté d’un esprit de clarté ouvert aux choses intellectuelles et sociales, il serait salutaire de donner aux jeunes esprits, des marques pratiques de lutte, et en les initiant, aux connaissances techniques, agricoles, industrielles et mécaniques » « Puissiez-vous, chers maîtres, faire de nos chers enfants, des intelligences généreuses et des techniciens du progrès. » « Puissiez-vous surtout, et je formule ce vœu sans m’inspirer de Virgile, en faire des âmes bucoliques, aimant leur sol, et sachant que lui seul, cultivé avec amour donne la paix à l’âme et la prospérité à la famille. » « Certes, votre tâche est rude. Nous vous aiderons de toutes nos forces. » [...]
Discours de M. Giorgetti : « [...] C’est au gouvernement de la République que doivent aller ensuite nos remerciements émus. » « L’inauguration de notre groupe scolaire, mais c’est aussi une fête républicaine. Ces deux termes, école laïque et république ne sont-ils pas étroitement liés ? L’un et l’autre ne sont-ils pas synonymes de progrès, de lumière, de vérité ? » « Le progrès, Monsieur le maire et Messieurs les conseillers municipaux, vous avez commencé à le marquer par la construction de cette école. Le bâtiment est grand, solide, simple, coquet et bien aménagé, digne du village. En y faisant pénétrer l’air et le jour, ces deux facteurs essentiels de la santé et de la gaieté, notre architecte s’est heureusement conformé aux règles de la meilleure hygiène et de la plus saine pédagogie, car il faut non seulement que les enfants soient bien installés à l’école, mais que l’école ait elle-même un aspect riant qui engage à l’étude. Ce n’est pas un Palais scolaire, comme d’aucuns pourraient le penser, c’est tout simplement une maison du peuple. Depuis plus d’un quart de siècle, notre pays se couvre avec juste raison, de constructions pareilles. Pour édifier ces maisons, le peuple a consenti et consent encore de lourds sacrifices ; il est de toute justice qu’il soit appelé à en bénéficier. » « L’enseignement laïque a pour principe fondamental celui d’apprendre aux enfants, garçons et filles, ce qu’ils auront à faire, parvenus à l’âge adulte. Bien entendu, ce n’est pas du métier de chacun que je veux parler, car à la sortie de l’école il leur restera un apprentissage spécial à faire, mais j’ai en vue les connaissances diverses qui seront nécessaires à tous en quelque situation qu’ils soient placés, quel que soit le métier qu’ils exercent. » [...]
Le groupe scolaire abritera le collège d’enseignement général (CEG), jusqu’à la fin des années soixante ; il servira ensuite pour la formation professionnelle pour adultes (AFPA). Il est depuis la fin 2014 un centre d’immersion linguistique en langue et culture Corse et centre de loisirs en liaison avec l’’Association dite « Association Départementale des PEP de la Haute Corse », ADPEP 2B.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
Bibliographie : Giansily, Pierre Claude, « Approche de l’architecture en Corse 1800 – 1970 », Etudes corses, n° 67, décembre 2008.