La statue de Sampiero Corso est inaugurée le 21 septembre 1890 à Bastelica. Cet évènement marque l’aboutissement d’un cycle débuté peu après 1850 et avec le rétablissement de l’Empire, quand Ajaccio se dote de monuments et statues dont le but est de glorifier le souvenir napoléonien, les Bonaparte et les corses qui se sont distingués auprès de l’empereur.
On note à Ajaccio l’inauguration de la statue de Bonaparte Premier consul par Laboureur en 1850, les monuments du cardinal Fesch par Vital-Dubray en 1854, du général Jean-Charles Abbatucci par le même artiste en 1864, de Napoléon Ier et de ses quatre frères en 1865 dont les statues sont réalisées par cinq artistes différents. A Bastia, on inaugure la statue monumentale de Napoléon Ier par Bartolini en 1854. Les autres villes de Corse célèbrent leurs personnalités de la même manière, faisant appel à des artistes renommés : à Corte, monument Pascal Paoli, par Huguenin, en 1854, du général Arrighi de Casanova, par Bartholdi, en 1868, et du général Gaffori, par Aldebert en 1900 ; à Vico, statue de Mgr Casanelli d’Istria, également par Vital-Dubray en 1887. Le corpus statuaire de cette période est sans conteste le plus abouti du point de vue artistique -tant dans sa conception que dans son exécution- et n’a pas eu d’équivalent par la suite, le corpus des monuments aux morts de la première guerre mondiale en Corse tenant une place particulière, notamment par le volume quantitatif qu’il représente.
Sampiero Corso (1498-1567), l’enfant de Bastelica, est parvenu grâce à son courage et ses talents militaires, aux plus hauts grades dans les troupes des Médicis à Rome et à Florence ; il a été un des plus braves généraux des armées de François Ier et de Henri II. Farouche opposant des génois, il sacrifiera sa vie à la liberté de son pays. Les premières initiatives pour commémorer la mémoire de Sampiero remontent au milieu des années 1850 et le conseil municipal de Bastelica s’y associe sans délai. La première liste connue des souscriptions (de 1855) fait apparaître en première position William Wise (250 francs), Alexandre Costa (30 f.), Santo Levie -d’Ajaccio- (20 f.) Thuillier [alors préfet de la Corse], V. Folacci, maire (30 f.), etc,.. ainsi que : Il consiglio municipale (1000 f.), Il consiglio di Confraternita (200 f.), Il consiglio di fabrica (150 f.), etc. Le conseil général de la Corse, lors de sa session de 1856, « […] en votant une somme de 500 f. voulu s’associer à cette manifestation nationale d’hommage rendu à la mémoire d’un illustre concitoyen ; enfin le chiffre des souscriptions atteignait déjà la somme de près de quatre mille francs, lorsque, sur la demande des habitants de Bastelica faite au gouvernement tendant à obtenir l’autorisation d’ériger sur une des places publiques de Bastelica la statue de Sampiero, Son excellence Mr le Ministre de l’Intérieur, par une dépêche envoyée à Mr le Préfet de la Corse, à la date du 5 mai 1857, écrivait à celui-ci que le moment ne paraissait pas opportun au gouvernement pour réclamer le concours des populations en faveur d’une œuvre de ce genre, et partant, d’accorder l’autorisation demandée. » « L’élan des Corses pour payer à Sampiero le tardif tribut de reconnaissance et d’admiration, que réclamait de ses compatriotes le sacrifice qu’il avait fait de sa vie, pour l’indépendance et la prospérité de sa patrie dut s’arrêter par ce refus d’autorisation mais ils n’ont pas renoncé à faire revivre cette idée patriotique et à reprendre l’exécution de ce projet lorsque le gouvernement jugera que les temps sont propices pour le porter à bonne fin. »
Les dons sont alors déposés à la caisse des Dépôts et Consignations. Au même moment, le sculpteur ajaccien Ange MarieLanfranchi (1832-1873) postule pour l’exécution de la statue mais n’est pas retenu. Quelques années plus tard, quand le projet est remis en route, le conseil général de la Corse, lors de sa séance du 9 novembre 1871 désigne ses représentants (cinq) pour étudier la question et la statue sommant le monument.
En 1886, le docteur François-Marie Costa qui préside le comité « Sampiero Corso » dispose de 20 000 francs mais il lui en faudrait 30 000. Heureusement, les difficultés s’aplanissent : « Avec un désintéressement qui l’honore, M. Vital Dubray, nous offrit d’exécuter la statue du héros, à ses risques et périls, moyennant le produit de la souscription en cours, quelqu’en fut le montant. Aussitôt, plein d’enthousiasme, il se mit à l’œuvre, avec une ardeur infatigable, et aujourd’hui (grâce au concours non moins désintéressé, d’un jeune architecte d’avenir, M. Maglioli fils) le vœu de tous les patriotes est accompli, et le nom de Sampiero Corso rayonne sur un monument digne de lui. »
Le monument est immense : le piédestal mesure sept mètres de haut et la statue trois mètres cinquante ; l’ensemble domine le quartier environnant avec beaucoup de majesté. Le grand homme se dresse l’épée au clair, appelant les Corses aux armes. Le piédestal comporte trois bas-reliefs : Le siège de Perpignan (1542, où il sauve le Dauphin, futur Henri II, qui lui donne en récompense le collier de l’Ordre du Saint-Esprit) ; la bataille de Tenda (1554, où, aux côtés des Français, il infligea une cuisante défaite aux Génois) et L’assassinat de Sampiero (en 1567, il est victime d’un guet-apens tendu par les Génois et les parents de sa femme ». La quatrième face du piédestal porte la plaque commémorative qui surmonte des lettres de bronze rappelant les principales étapes de la vie et les campagnes militaires de Sampiero.
L’éditorialiste du Journal de la Corse du 9 septembre 1890 exprime dans quel climat se situe l’initiative de l’érection du monument et son inauguration : « Dans les circonstances présentes, l’inauguration du mouvement réparateur présente un caractère tout particulier. » « N’oublions pas que le colonel général d’Ornano batailla longtemps sur le Rhin et aux Pyrénées pour arrêter les hordes allemandes qui, sous Charles Quint et sous Philippe II, menaçaient de placer toute l’Europe sous le joug teutonique. » « N’oublions pas qu’à l’heure actuelle, nos frontières rétrécies ont à redouter, comme alors, les menaces de l’Empire germanique. » « Sampiero, frappé par la balle d’un traître, près du lieu où sa statue sera érigée, ne put arracher la Corse à la domination inique des Génois ; mais il a préparé par sa mort glorieuse notre accès à la grande famille française et c’est à sa bravoure et à son patriotisme que nous devons le rang que notre île occupe dans l’histoire du monde et dans celle de la France. » « La réparation, bien que tardive, acquiert donc une importance d’actualité qu’on ne saurait méconnaître. Il est impossible que notre situation insulaire nous fasse constater l’absence du ministre de la Guerre à cette manifestation toute militaire. »
Ce monument inauguré le 21 septembre 1890 a été inscrit sur la liste complémentaire des Monuments historiques en 2008 par arrêté préfectoral du 8 février 2008.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
A Bastelica on connait le monument Sampiero Corso, situé à l’entrée du village, quartier Santo. On peut également voir, dans le quartier Tricolacci, le buste en bronze de Sampiero, imposant de fougue et de détermination. L’œuvre a été commandée en 1937 au sculpteur bastais Louis Patriarche par l’Etat pour être envoyé à la municipalité dirigée alors par Jean-Augustin Seta.
Le buste est fondu en 1938 par les établissements Hohwiller à Paris et envoyé en Corse l’année suivante. L’œuvre étant un dépôt de l’Etat, il appartient à la commune, selon l’usage, de prendre à sa charge les frais de port et d’emballage, c’est ainsi que le 2 juillet 1939, le conseil municipal de Bastelica vote un crédit de 1 100 francs pour couvrir cette dépense. Cependant, le buste n’est pas installé mais conservé dans un local municipal en raison des tensions politiques internationales constatées alors en Europe.
Le buste de Sampiero Corso est du au ciseau de Louis Patriarche, sculpteur et médailleur né à Bastia le 28 septembre 1872 (décédé à Nîmes, 13 mai 1955). Formé à Rome, à l’Académie royale des Beaux-Arts, puis à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, Louis Patriarche est le sculpteur qui a connu le plus de succès et de popularité tant auprès des Corses de Paris qu’en Corse, au cours d’une carrière qui couvre une période de près de cinquante ans. Parmi ses œuvres situées en Corse : à Bastia, le monument aux morts de la place Saint-Nicolas et le médaillon buste de Sampiero Corso également à Bastia, à Calvi la porteuse d’eau, à Ajaccio, le médaillon d’Emmanuel Arène.
Son installation sur une placette du village intervient le 12 août 2002, à proximité d’une propriété de la famille Costa, dont un membre, le docteur François-Marie Costa présida le comité « Sampiero Corso » pour l’érection du monument sommé par la sculpture de Vital-Dubray inauguré à Bastelica le 21 septembre 1890.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
Le monument aux morts de Bastelica, dont la sculpture a été réalisée par Anna Bass, est inauguré le16 septembre 1923. C’est l’aboutissement d’un processus engagé dès la fin de la Grande Guerre.
En septembre 1919, le journal « Le Petit Bastelicais » publie l’appel lancé par le comité pour l’érection d’un monument aux enfants de Bastelica morts pour la France :
« La Corse reconnaissante élèvera à ses enfants morts pour la Patrie un monument digne d’Eux et digne d’Elle. Ce monument qui se dressera bientôt sur une des places publiques du Chef-lieu. [ … ]
« Cette œuvre, nous en sommes persuadés réalisera l'accord de tous les Bastelicais. Elle dépasse trop nos personnalités éphémères, elle domine trop nos petites animosités locales pour que nous ayons à craindre des oppositions ou des abstentions. » « Quel sera le monument ? Sur quel emplacement l’édifiera-t-on ? Ces questions se poseront demain. Mais quelles que soient sa forme et ses propositions, — colonne, mausolée, — quels que soient les matériaux employés, — granit, marbre ou bronze — nous pouvons affirmer dès aujourd’hui que tous les noms des enfants de Bastelica, victimes de la guerre, y seront gravés en caractères ineffaçables […] Le monument sera ce que nous voudrons qu’il soit. C’est à tous les Bastelicais, à ceux qui n’ont jamais quitté leur village autant qu’à ceux de France, d’Algérie et d’ailleurs, de dire s’ils veulent une œuvre qui soit digne des morts et des vivants.
« Nous célébrons tous les jours dans notre Eglise resplendissante de cierges et décorée aux couleurs nationales, des services funèbres à la Mémoire de nos Grands Morts. Toute la population, par sa présence et par son attitude, s’associe au deuil des familles éprouvées. Hommage d’un jour, — Hommage solennel, mérité. Mais cette glorification d’un jour, après laquelle nous semblerions avoir le droit de ne plus penser à eux, ne suffit pas. Il faut leur rendre un hommage qui soit éternel pour autant que sont éternelles les choses humaines. Il leur faut, en un mot, le monument qui aura une valeur d’exemple pour les enfants qui naîtront demain.
« Pour matérialiser notre pensée, — la pensée de tous, — il faut de l’argent. Et nous ne devons compter que sur nous-mêmes, parce que l’œuvre dont nous poursuivons la réalisation est une œuvre purement locale, simplement bastélicaise. C’est à nous, et à nous seuls, qu’il appartient, après la bataille, de ramasser nos morts, de les ensevelir de leur rendre les honneurs suprêmes. » « Bastelicais ! Vous tous qui aimez votre village, vous tous qui avez eu la joie de revoir les vôtres et vous tous, hélas ! qui avez eu des êtres chers tombés au Champ d’Honneur, disparus dans la, tourmente, morts lamentablement sur un lit d’hôpital ou plus lamentablement encore dans une geôle d’Allemagne vous comprenez notre pensée… [ … ] « Nous rêvons l’accomplissement d’une belle œuvré de reconnaissance durable et de fervente pitié. »
« Vous nous donnerez les moyens de l’exécuter. » LE COMITÉ.
Le maire de Bastelica, Jean-Augustin Seta, verra le projet aboutir rapidement avec une inauguration du monument aux morts le16 septembre 1923. C’est l’artiste Anna Bass qui en a réalisé l’imposante statue ; cette sculpture dénommée « Patria » est considérée comme son œuvre la plus importante. Elle est présentée en 1922 au Salon de la Société Nationale des Beaux-arts (n° 1264) avec sa destination « pour le monument aux morts de Bastelica en Corse » et reproduite dans l’annexe du catalogue officiel. Anna Bass est née à Strasbourg en 1876 et décédée à Paris, en 1961. elle expose au Salon des Artistes français entre 1911 et 1913, au Salon d’Automne entre 1911 et 1935, au Salon de la société Nationale des Beaux-arts, dont elle est associée, de 1921 à 1933. Plusieurs musées en France conservent de ses œuvres : le musée National d’Art Moderne de Paris -Centre Georges Pompidou- : Danseuse (1961) et un Torse de femme ainsi que les musées de Metz et Strasbourg.
La sculpture est en bronze de fonte à cire perdue exécutée par la fonderie Valsuani. Le monument est composé d’un arc de granit sous lequel la statue est placée. Cette œuvre est une illustration de la représentation généralement admise pour la femme, mère et déesse à la fois, avec les attributs de la Victoire : une couronne dans chaque main, et un aspect esthétique séduisant : formes à peine cachées par un drapé quasiment transparent tout en restant « acceptable » à une époque où il est difficile de présenter en même temps l’idéal féminin et les valeurs humaines traditionnelles. L’inscription « PATRIA » 1914-1918 est porté sur la partie supérieure du piédestal, précédant les plaques où figurent les noms des enfants du village morts pour la France.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
Près de l’église Saint-Michel de Bastelica, sur une placette, se trouve une stèle. Composée d’un monolithe de granite, elle est ornée du portrait en fonte du docteur Jean-Augustin Seta (1885-1978, qui fut maire de Bastelica et conseiller général.
Cette stèle commémorative a été érigée à l’initiative du Comité pour l’érection d’un monument à la mémoire du docteur Jean-Augustin Seta présidé par André Finelli. L’inauguration a lieu le 31 octobre 1993 en présence d’une grande affluence. Des discours sont prononcés par le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Paul de Rocca-Serra, le président du Conseil Général de Corse du Sud, José Rossi, le maire de Bastelica, Pierre Porri, le docteur Marc Marcangeli, premier adjoint au sénateur-maire d’Ajaccio.
On peut lire dans La Corse-Le Provençal, du 1er novembre 1993 un article intitulé « Quand Bastelica se souvient du docteur Seta » : « Le docteur Jean-Augustin Seta a tenu les rênes de Bastelica pendant 53 ans. Un véritable record. Homme de cœur et d’esprit, il a servi sa terre et ses administrés avec une bienveillance qui reste à jamais gravée dans le cœur des habitants du canton. Personnage clé du village, homme de cœur, charismatique au possible, le Dr Seta est la figure emblématique par excellence de Bastelica. On voyait sa silhouette tellement reconnaissable avec son manteau et sa canne, parcourir le village pour soigner pauvres et riches, sans discernement, sans écouter sa peine mais toujours son bon cœur. "Il ne faisait jamais payer ses consultations". C’est dire si ce personnage méritait que son village lui rende un vibrant hommage. Une stèle à la fois sobre et imposante, a donc été élevée près de l’église. […] Entourée de ses neuf petits enfants, Juliette, la fille aînée du docteur, songeait avec une poignante nostalgie aux versions latines que son père déclamait dans une langue qui lui semblait si familière. »
La pierre, issue du plateau d’Ese, proviendrait d’une faille provoquée par la foudre et le portrait en fonte provient de la fonderie FAZ créée à Mezzavia par Patrick Zrihen.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
La plus grande partie du décor de l’église que l’on peut voir aujourd’hui a été réalisé en 1940, à la demande du chanoine Barthélémy Arrighi, curé desservant de la paroisse de Bastelica de 1937 à 1957 et du comité de l’église.
Dominique Frassati, originaire de Bastelica, exécute ces décors qui constituent une de ses plus belles réalisations en matière de décoration murale par son ampleur et par la variété des sujets traités. Dominique Frassati (1896-1947), est un des principaux peintres de l’Ecole d’Ajaccio de peinture de la première moitié du XXe siècle. Il a été conservateur des musées d’Ajaccio de 1937 à 1945. Comme peintre décorateur, il a réalisé, peu après son installation à Ajaccio, en 1934, d’importants travaux de décoration à l’hôtel Martini de Bastelica où deux thèmes dominent : les quatre saisons et les personnages de l’histoire de la Corse : Sampiero Corso, le général Gaffori, Pascal Paoli et Napoléon 1er. Pour ce type de travaux, il peint à l’huile avec une technique différente de ses prédécesseurs et utilise des couleurs industrielles.
Pour l’église Saint-Michel de Bastelica, Dominique Frassati (qui est aidé par son frère Jean-Baptiste) a confectionné des modèles sur papier huileux pour les motifs décoratifs et réalisé de nombreux dessins pour les panneaux proprement dits. Quatre panneaux décorent le transept : dans la chapelle vouée à Saint Antoine de Padoue, deux panneaux légendés « Gloire à Dieu » et « Il vint à nous par Marie » ; dans la chapelle vouée à Saint Michel, deux panneaux légendés « Malgré ses ennemis » et « Le Christ en croix nous sauvera ». Ces deux derniers panneaux figurent de nombreux personnages, bien dans le style de l’artiste qui représente ses sujets sans concessions, dont certains sont sans doute des paroissiens. Sur le panneau légendé « Le Christ en croix nous sauvera », on reconnait « Prete Arrighi », le Christ en croix de l’église de Bastelica à l’attitude très expressive. On observe que les traits des grandes communiantes et des enfants de chœur, sujets que Frassati aime traiter au cours des années 1940, ont sans doute été inspirés par de jeunes Bastelicais. Sur le panneau légendé « Malgré ses ennemis », sous un ciel d’orage, une jeune fille priant, agenouillée, tout de blanc vêtue et une vingtaine d’hommes priants. Au premier plan, trois personnages, dont une femme sont dans une discussion animée et un jeune homme tient à la main un journal au titre évocateur : La Lumière. Un enfant le tire par la veste pour qu’il cesse la discussion et se joigne à la prière.
Pour les autres parties du décor mural, celui-ci est sobre et les couleurs, peu nombreuses, sont choisies dans les jaunes, rosés, marrons et violets. La voûte centrale figure la vierge Marie entourée d’une multitude d’angelots en suspension, avec des guirlandes de fleurs, répartis sur un fond bleu sur les quatre parties du plafond. Le chœur est décoré très sobrement avec une frise d’angelots aux attitudes diverses et parfois curieuses.
A la même époque, Dominique Frassati travaille à la décoration du plafond du Salon d’honneur de l’Hôtel de Villed’Ajaccio, L’épopée napoléonienne (huile sur toile marouflée fixée à la voûte, terminée en 1942), illustration de son évolution dans le traitement de certains thèmes. Cette œuvre, peinte à la demande du maire Dominique Paoli, est inscrite au titre des monuments historiques par arrêté préfectoral du 11 mars 1988.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
En 1850, la commune de Bastelica compte près de 3 000 habitants et l’église Saint-Michel, alors utilisée s’avère trop petite et en très mauvais état. En même temps que la construction d’un nouvel édifice la municipalité souhaite aménager le quartier de Santo qui marque l’entrée et le cœur du village et revoir l’installation des différents services publics : écoles, gendarmerie, justice de paix. Le projet de reconstruction de l’église est ambitieux et de très importants moyens financiers y seront consacrés.
La nouvelle église paroissiale inaugurée le 15 août 1895 constitue ainsi une étape majeure dans la vie de la communauté villageoise du XIXe siècle et l’aménagement de l’espace public de ce qui constitue le centre de Bastelica, qui se poursuivra au cours de la première moitié du XXe siècle, dotant la commune d’un important patrimoine immobilier. Accompagnant l’élan religieux, la construction d’églises est remarquable au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, et plus sous le Second Empire qu’au cours de la Troisième République, notamment dans les nouvelles communautés.
Le financement de la nouvelle église mobilise toutes les ressources : celles de la fabrique mais aussi l’aide de la commune, les subventions et même l’emprunt, grâce aux dispositions de la loi du 6 juillet 1860 qui autorise le Crédit Foncier de France à financer les collectivités locales. Quelques communes puisent dans leur patrimoine propre, les biens communaux et en particulier les bois, qui sont une ressource utilisée par certaines d’entres elles comme Bastelica. En juin 1857, le projet établit par Paul Poggi s’élève à 75 953,94 francs et à la fin des travaux, en 1892, il aura atteint un cout total de 118 000 francs.Le 8 novembre 1857, le conseil municipal de Bastelica délibère sur le financement de l’opération et constate l’existence de 16 000 francs de souscription volontaire, prévoit 15 000 francs provenant des taxes de pacage, 6 000 francs estimés pour le prix de récupération des matériaux de démolition de l’église Saint-François et 5 828 francs représentant la valeur du site appartenant à la commune qu’elle propose de céder gratuitement. Ces sommes étant insuffisantes, le conseil municipal envisage de demander un secours à l’État, puis, lors de la séance du conseil municipal du 7 septembre 1862, le maire expose qu’il a été autorisé par le préfet à réaliser un emprunt de 40 000 francs nécessaires pour la construction de la nouvelle église. Les travaux reprennent et devant les difficultés rencontrées, la commune se décide en 1870 à solliciter une subvention à l’État. Le secours intervient dès juillet 1872, par l’annonce de l’octroi d’une aide de 5 000 francs en deux annuités de 2 000 et 3 000 francs. Le 13 août 1888, lors de la séance du conseil municipal, le maire de Bastelica propose de demander la continuation des travaux de reconstruction de l’église paroissiale et de demander de nouveau un secours de l’État. Le maire évoque une délibération du conseil de fabrique […] « tendant à ce qu’il soit pourvu par la commune à la continuation des travaux de reconstruction de l’église paroissiale, lesquels travaux dûment et légalement commencés en 1864 et suspendus à la fin de 1866 par la faute de l’entrepreneur dont l’adjudication fut résiliée en 1867. » Le devis estimatif de Paul Poggi évalue désormais la dépense à 102 000 francs. La commune a déjà dépensé pour les travaux exécutés plus de 34 000 francs et le conseil est d’avis d’affecter à l’achèvement de l’église paroissiale la somme de 5 000 francs à prendre sur le produit des coupes de bois et de recourir au Ministère des Cultes afin d’obtenir l’allocation d’un secours de 35 000 francs. Finalement, la commune recevra une aide de l’État conséquente qui lui permettra d’achever ses travaux. En même temps, on constate que les bois communaux, dont la gestion est confiée aux Eaux et Forets, sont une ressource indispensable à la réalisation des projets.
Paul Poggi (né à Ajaccio le 3 décembre 1821) a été élève de l’École des Arts et Manufactures (plus tard l’École Centrale des Arts et Manufactures de Paris). Il est ingénieur architecte et décide de rentrer à Ajaccio où il fera une longue carrière (il meurt dans sa ville natale le 11 mars 1903). Il travaille aux Ponts et Chaussées de la Corse, service dans lequel il est sous-agent voyer puis agent-voyer. Parallèlement, il est nommé inspecteur des édifices diocésains d’Ajaccio le 12 décembre 1850, et confirmé dans ses fonctions le 16 novembre 1853. C’est dans ce cadre que Paul Poggi est chargé des travaux de construction ou d’entretien de nombreuses églises comme celles de Conca, Renno, Zonza, Olmeto, Cuttoli-Corticchiato, Propriano, Cozzano et Zicavo.
Le dossier du projet élaboré par Paul Poggi en 1857 se compose de vingt-et-une planches. Il présente plusieurs variantes d’implantation et tient compte des projets de la municipalité, dirigée par le maire Folacci, comme l’aménagement d’une place et l’érection d’une statue à la mémoire de Sampiero Corso qui ont été lancés au début des années 1850. Paul Poggi s’occupera de l’église de Bastelica pendant plus de trente-cinq ans et fera les derniers contrôles des travaux exécutés au cours des années 1890.
Les travaux de construction ont connu divers avatars et plusieurs entreprises se sont succédé pour la construction. Le 29 juin 1860, le maire de Bastelica informe le préfet que le projet de reconstruction de l’église n’a pas été engagé car les fonds de la commune ont été et doivent être consacrés à des dépenses de première nécessité comme la route et le pont de Bastelica, l’acquisition du couvent ainsi que sa réparation (pour recevoir la salle de mairie et de justice de paix, deux salles d’école et la caserne de gendarmerie). L’année suivante, l’architecte du département peut dresser l’état des travaux faits par Augustin Tirroloni, entrepreneur à Bastelica. La question de l’emplacement de la nouvelle église étant réglée, le conseil municipal peut s’atteler à l’exécution du projet en 1862. Les travaux commencés en 1865 sont suspendus à la fin de 1866, faute de fonds. Grâce aux recettes de coupes de bois communaux, les travaux reprennent avec l’espoir qu’ils soient achevés avec un secours de l’État. Le dossier établit par Paul Poggi le 16 juin 1868 présente quelques changements pour tenir compte des modifications mineures intervenues au cours des premiers travaux d’exécution. Les années 1870 voient l’exécution d’une partie importante des travaux mais ceux-ci sont arrêtés de nouveau. Le procès-verbal d’adjudication de l’achèvement des travaux de l’église en date du 26 juillet 1890, sur la base du devis et du cahier des charges dressé par Paul Poggi, fait apparaître deux soumissions présentées par des entrepreneurs ajacciens : celle de Louis Panero et celle de Patrice Spinosi. C’est Louis Panero qui est déclaré adjudicataire pour la somme totale de 42 370 francs déduction faite du rabais de 18% et non compris la somme à valoir de 5 160 francs pour imprévu, ni les honoraires de l’architecte. Les travaux sont achevés en 1892 dans la perspective d’une inauguration qui interviendra trois ans plus tard.
L’inauguration solennelle de la nouvelle église de la paroisse de Bastelica intervient le 15 août 1895 soit cinq ans après l’inauguration en grande pompe, le 21 septembre 1890, du monument Sampiero Corso. Le Journal de la Corse en date du 20 août 1895 évoque largement le discours prononcé sur le seuil de l’église par le chanoine Maestratti, curé-doyen de la paroisse de Bastelica, discours que toute la population a écouté religieusement. « Tous, sans distinction, en ont gouté et apprécié le fond et la forme. » « Après l’évangile, il est monté en chaire et fait un sermon analogue en la circonstance. » « Tout le monde en a été touché. Ce jour ne sera jamais oublié par les Bastelicais. » « L’édifice était bondé, et l’ordre le plus parfait a régné. Les étrangers en ont été édifiés. »
L’église a été inaugurée en 1895 mais sans son clocher, dont les plans avaient été dressés par Paul Poggi en 1857. Le clocher n’a pas été réalisé faute de moyens financiers car la priorité était alors de terminer l’église et de la mettre enfin à disposition des fidèles. La commune décide sa construction au début des années 1910 et une procédure d’appel d’offre est engagée. C’est Jean Gioli, entrepreneur demeurant à Zigliara, qui est déclaré adjudicataire des travaux par procès-verbal du 5 juillet 1914, approuvé par le préfet de la Corse le 31 juillet. Hélas, le décret du 1er août 1914 instituant l’ordre de mobilisation générale frappe la Corse comme l’ensemble du territoire français et le projet est stoppé net.
Ce n’est que dans le courant des années 1920, après avoir tenté de panser les plaies de la Grande Guerre, avec l’inauguration, le 16 septembre 1923, du monument aux morts situé au quartier Dominicacci, que la municipalité menée par Jean-Augustin Seta, relance le projet. le marché de gré à gré signé le 3 mars 1925 prévoit un délai de livraison de l’édifice à dix-huit mois à compter de la réception de l’ordre de travaux. Le prix est fixé à 64 600 francs. Le devis estimatif du projet, les plans, élévation et coupe ont été établis à la date du 28 décembre 1923, par l’architecte ajaccien Louis Carrayol qui retient pour la conception du clocher le principe du clocher-porche prévu par Paul Poggi mais s’en écarte sur de nombreux points. Le clocher dessiné par Carrayol, tel qu’on le voit aujourd’hui, maintient le principe du clocher-porche mais n’a plus à son sommet les pyramidions et la flèche prévue à l’origine. Il présente un balcon bordé par une rambarde et un petit dôme qui rappelle fortement le clocher de l’ancien convent des Franciscains. Ses ouvertures et motifs décoratifs sont différents de ce qui avait été prévu initialement avec des baies cruciformes et une chambre de cloches plus ouverte. Les travaux du clocher sont terminés en 1927.
L’église de Bastelica contient de nombreux éléments décoratifs et Paul Poggi a particulièrement soigné les éléments architecturaux y participant (fenêtres de la nef centrale, pilastres et colonnes, rosace). Le décor peint est à la charge du conseil de fabrique. Des travaux seront réalisés pour l’inauguration de 1895 avec des fleurs de lis au pochoir qui évoquent immanquablement le style du peintre bastiais Paul-Baptiste Profizi (1839-1908). Le décor que l’on peut voir aujourd’hui est réalisé en 1940, à la demande du chanoine Barthélémy Arrighi, curé desservant de la paroisse de Bastelica de 1937 à 1957 et du comité de l’église par un artiste originaire de Bastelica, Dominique Frassati (1896-1947), un des principaux peintres de l’Ecole d’Ajaccio de peinture de la première moitié du XXe siècle.
L’église contient de nombreux objets mobiliers : sculptures, tableaux, orfèvrerie, vêtements liturgiques, dont certains ont été protégés au titre de la législation sur les monuments historiques dans les années 1970 et 1980. Ces objets proviennent de l’ancien couvent des Franciscains ou ont été achetés par la fabrique ; d’autres ont été donnés par des bienfaiteurs.
Trois objets mobiliers ont été classés monuments historiques par arrêté ministériel : 1 : Saint-Antoine de Padoue et l’Enfant Jésus, statue en bois du XVIIe siècle, classé le 20 février 1978 (provient de l’ancien couvent des Franciscains) ; 2 : Maître-autel, gradins et tabernacle, marbre, XVIIe siècle, classé le 20 février 1978 (provient de l’ancien couvent des Franciscains) ; 3 : Christ en croix en bois polychrome, XIXe siècle, classé le 2 mai 1984.
Quatre objets mobiliers sont inscrits : 1 : Bénitier, marbre, XVIIe siècle, inscrit par arrêté préfectoral le 28 juillet 1982 ; 2 : Le calvaire, toile, XVIIe siècle, inscrit le 28 juillet 1982 ; 3 : Vierge à l’Enfant, Notre-Dame du Rosaire, toile, XVIIe siècle, inscrit le 28 juillet 1982 ; 4 : le Chemin de croix réalisé par la peintre ajaccien Aglaé Meuron (1836 - 1925), inscrit par arrêté préfectoral du 6 février 2012.
A noter également, une remarquable chaire à prêcher et le très beau travail de menuiserie des portes d’entrée et latérale gauche.
Pierre Claude Giansily
Historien de l’art
- Casta, Michel, « La construction d’églises paroissiales en Corse au XIXe siècle », Etudes corses, no 37, 1991, p. 83-103.
- Pomponi, Francis et Usciati,Jean-Jacques, De Bastelica à Bastelicaccia L’homme et l’espace en Corse-du-Sud, éditions Alain Piazzola, 2006.
- Fontana, Rino et Traeber-Fontana, Monique, Colorations extérieures des monuments baroques, état actuel des recherches en Corse et en Europe, cahiers Corsica 228-229-230-231, Bastia, 2007.
- Giansily, Pierre Claude, La peinture à Ajaccio : 1890-1950 : Bassoul, Canavaggio, Frassati, « Association Le lazaret Ollandini », diffusion, Colonna édition, Ajaccio, décembre 2008.
- Giansily, Pierre Claude, « Architectes communaux et départementaux en Corse au XIXe siècle », dans Strade -Recherches et documents. Corse et Méditerranée- n° 15, juin 2007.
- Giansily, Pierre Claude, « Approche de l’architecture en Corse 1800 – 1970 », Etudes corses, n° 67, décembre 2008.
- Archives départementales de Corse-du-Sud, séries 2 O 031/4, 2 O 031/5 et 2 O 031/8 ; série 4V 17.
« Mes Chers Frères,
« Mgr l’Evêque n’ayant pu, malgré son vif désir, à cause de son grand âge doublé d’une indisposition, nous honorer de sa présence qui eût, sans doute, rehaussé notre fête et imprimé un cachet tout particulier à cette éclatante cérémonie, je sais gré à sa grandeur de m’avoir délégué pour la présider et de nous avoir envoyé sa Sainte bénédiction. » [ … ] « Je sais très heureux de voir mes paroissiens charmés, joyeux, enthousiasmés assister à l’inauguration de leur belle église, si ardemment désirée, si impatiemment attendue, en ce jour inoubliable de son triomphe. [ … ]
« A qui échappera-t-il que la construction de cet imposant édifice qu’on livre ce matin au culte divin n’a passé par diverses phases -per ignem et aquam- et qu’il n’a traversé bien des crises qu’on croyait insurmontables, Que son enfantement n’a été fort laborieux ? » [ … ]
« Dieu, auteur de tout bien, per quem omnia bona fiunt, nous ayant aidé et le gouvernement de la République, au quel nous envoyons l’hommage de notre dévouement inaltérable, et l’expression de notre profonde gratitude, nous ayant généreusement prêté son concours au moment psychologique, l’œuvre, objet de nos vœux les plus légitimes, de nos préoccupations les plus vives, que nous avons poursuivie incessamment et sans relâche, et à la quelle je me suis résolument attelé, en lui conservant le zèle et l’énergie dont j’étais capable est maintenant achevée et notre beau rêve est finalement réalisé. […]
« Tout en remerciant les personnes qui ont concouru par leurs offrandes ou leur bonne volonté à la bâtisse et à l’embellissement de ce temple, et en particulier les membres de mon conseil de fabrique (MM. Giordani, Rossi, Casanova, Costa, Scapula et Folacci que Dieu a rappelé à lui les travaux de l’église étant en cours d’exécution) dont je n’ai qu’à me louer il est bien juste que je rende en cette circonstance solennelle, un témoignage public qui est, j’en sui sûr, ratifié par toute cette population, en faveur de l’éminent architecte M. Paul Poggi, auquel est, certes, due toute la reconnaissance de la paroisse de Bastelica, où il a acquis droit de cité, et dont je suis ici l’interprète fidèle. […]
« Elle fait la gloire et fera l’orgueil de cette commune, qui est, sans contredit, la seconde du département en fait d’illustration –ce bronze représentant le grand patriote, le héros de notre indépendance insulaire que nous avons devant nous, le prouve ; la cinquième par le chiffre de la population ; et sans pareille pour le métier des armes (Bastelica a donné le jour à Sampiero Corso ; a une population sédentaire de 3 367 habitants, et compte actuellement plus de 30 officiers dans l’armée). […]
« Je suis persuadé que ceux qui liront plus tard la genèse, les vicissitudes, les péripéties de ce temple et les maints déboires que nous avons éprouvés pour le mener à bonne fin, diront : A Domino factum est istud et est mirabile in ocutis nostris. […]
« Je le supplie de tenir toujours dans son temple le cœur épanché, les yeux ouverts, les oreilles attentives sur les besoins de ses enfants, sur leurs intérêts les plus chers de religion, de famille, de patrie.
« Puisse cette église firmiter aedificata être toujours le palladium de la paroisse, un phare lumineux et, pour ces habitants un abri tutélaire, un refuge assuré, un asile protecteur. »
« Ainsi soit-il. »
Monsieur le Maire : GIFFON Jean-Baptiste
Première Adjointe : SETA épouse GIANSILY Dominique
Deuxième Adjoint : USCIATI Marien
Troisième Adjoint : FRANCESCHINI Jacques
Premier délégué : PIETRI Christian
Deuxième délégué : BERNARDINI Toussaint
BRIGNOLI Jean Paul
ANGELI Nicolas
BENIELI Florent
DURAND-ARMELLINI Nicolas
FERUCCI Ange-Marie
LUGREZI Jeanne
LENCI Florence
OTTAVI Dominique
RICHAUD Jean-François
Basterga Production 2020